Kummatty de Govindan Aravindan
- Lounis Brilla
- 12 janv. 2023
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 janv. 2023
Les festivals offrent régulièrement la possibilité de redécouvrir des films anciens, quelques fois oubliés ou méconnus, dans de bien meilleures conditions.
Cette année, le festival des 3 continents à Nantes diffusait Kummatty. Une perle rare du cinéma indien, réalisé en 1978 par Govindan Aravindan, et présenté dans une sublime copie restaurée en collaboration avec The Film Fondation, fondée par Martin Scorsese et visant à la préservation du cinéma mondial. Première porte d’entrée dans le cinéma indien pour le rédacteur de ces lignes, Kummatty lui est apparu comme un film protéiforme et bicéphale : voilant sa densité thématique et stylistique derrière une manifeste simplicité.
Chandi, jeune garçon farceur et espiègle, se voit métamorphosé en un petit chien à la rencontre d’un étrange vieillard, que lui et ses camarades apparentent à la figure légendaire du Kummatty, sorte d’équivalent hindou du croque-mitaine. Suite à cela, Chandi est chassé par un autre chien qu’il avait plus tôt l’habitude de tyranniser, et subit les railleries du perroquet dont il se moquait copieusement. Il est plus tard recueillit par une jeune fille issue d’un milieu aisé, aux côtés d’autres chiens errants. Dépourvu de ses attributs d’hommes et muet, Chandi essaiera toutefois de retrouver le chemin de son village, et de lever le sort que lui a jeté Kummatty.
Les accroches entre Kummatty et le conte sont assez explicites, dès sa première scène où se superposent les psalmodies d’un vieil homme sur une aube rougeoyante. Nous ne sommes guère éloigné du fameux « Il était une fois. » Le parcours vécu et subi par Chandi évoque celui d’une initiation, d’une morale que le jeune garçon doit recevoir pour s’accomplir auprès des siens et du Cosme dont il fait partie. La spiritualité indienne divergeant de celle occidentale, la place de Chandi n’est pas seulement auprès des hommes, mais aussi auprès de la nature, des végétaux et des animaux, justifiant donc cette métamorphose en animal.
Le naturalisme filmique de Govindan Aravindan, qui ne s’autorise que peu de dialogues ou de coupes superflues, met au contraire en valeur un grand soin porté à l’atmosphère sonore et à la photographie. Les paysages ruraux et rustiques de la campagne indienne, sculptés par des teintes chaudes et superbes, confèrent au film une délicate rêverie. Kummatty n’a d’ailleurs pas usurpé sa place dans le mouvement du réalisme-magique, bien que beaucoup considèrent ce dernier comme essentiellement littéraire. À vrai dire, le long-métrage marie à merveille l’épure et l’ascète d’un documentaire à la fantaisie d’un conte fantastique. Si Aravindan présente d’abord son vieillard Kummatty d’une manière surnaturelle et inquiétante, traversant les champs en portant d’étranges reliques sur les épaules, nous le découvrons une scène plus tard avachi contre un arbre, fumant des cigarettes et s’amusant de la fascination qu’il exerce sur les enfants. La spontanéité des comédiens, adultes comme enfant, si elle est sans doute dû à leur non-professionnalisme, renforce en revanche l’irruption soudaine de l’étrange dans un quotidien agricole. De plus, les subtils changements de langues entre l’hindou et l’anglais, visibles lorsque Chandi fait la rencontre de la jeune fille, sorte de princesse de subsistions, permettent de rendre compte d’un changement évident de Cosme. Le père est vu avec une machine à écrire, la jeune fille est vêtue d’une coquette façon ; Chandi n’est plus dans le cadre rustique qu’il avait naguère l’habitude d’arpenter.
Un film réaliste-magique, oui, car Kummatty semble autant emprunter à la nouvelle-vague dans sa mise-en-scène qu’il s’inspire ouvertement de l’enfance et des légendes que l’on peut se raconter d’une salle de classe à la cour, au sein d’un groupe de bambins dont l’imagination déborde. Un très beau film donc, tant pour la qualité de ses visuels que pour l’immense pureté avec laquelle il traite de l’enfance, sans jamais céder à une naïveté béate.
Lounis BRILLA
étudiant en Master 2
Littérature Française Comparée
De l'auteur :
« Passionné par les lettres et le cinéma, curieux et loquace, j'ai souhaité participé à cet atelier car l'exercice de la critique me passionne. L'échange et le débat autour du septième art m'intéressait beaucoup également, dans la mesure où je suis toujours susceptible de découvrir de nouvelles manières de d'analyser un film et de réfléchir sur ce dernier. »
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